Unité,
Solidité
& Originalité

Préface au
Dictionnaire de Droit public interne
de M. le professeur
Mathieu Touzeil-Divina

Pour clarifier les idées, retrouver des références, ordonner ses réflexions, un dictionnaire est un auxiliaire précieux. Celui qu’en 1638 Richelieu charge l’Académie française de rédiger « devait porter la langue à sa dernière perfection, en traçant un chemin pour parvenir à la plus haute éloquence ». Le dictionnaire de Trévoux au XVIIIe siècle, le dictionnaire de la langue française d’Emile Littré et le dictionnaire universel de Pierre Larousse au XIXe ont fixé la langue en même temps qu’ils présentaient une synthèse des connaissances du temps.

Les apports d’un dictionnaire s’appliquent aussi au champ juridique. Comme les autres sciences humaines, le droit repose sur une langue, dont il convient de connaître les termes et de comprendre la structure. Précis et rigoureux par nature, il dispose de ses mots, consacre ses propres expressions, développe sa logique. Un dictionnaire est une clé d’entrée pour y circuler avec aisance.

Consacré au droit public interne français, le dictionnaire rédigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina répond à cet objectif. Universitaire passionné par la transmission du savoir, son auteur, professeur à la faculté de droit de Toulouse, cherche à éclairer ses lecteurs, et d’abord les étudiants. Il le fait à sa manière, en combinant unité, solidité et originalité.

L’unité est celle du droit, à laquelle le professeur Touzeil-Divina est à juste titre attaché et qu’il a déjà illustrée par d’autres travaux. Au-delà des spécialisations, parfois exagérément techniciennes, le droit se structure par des lignes de force de caractère transversal. L’unité tient aussi à une réflexion sans cloisonnement, qui intègre le droit aux autres savoirs, de la science politique à la philosophie, qui ne le sépare pas de l’expression artistique, de la littérature à l’opéra, qui prend en compte sa dimension historique et son insertion dans l’espace européen et international. Avoir comme entrées des noms propres (parfois même dans l’ordre sympathique des prénoms !) aussi bien que des mots ordinaires contribue à l’approche globale qui est celle de l’ouvrage.

La solidité est celle du professeur, qui sait présenter avec clarté et précision les grandes notions du droit public comme les termes plus spécialisés. La constitution, l’égalité, l’Etat, la fonction publique, la laïcité, l’ordre public, la puissance publique, la République, le service public sont explicités avec recul et synthèse, d’une manière qui permet de saisir leur sens juridique mais aussi de comprendre leur dimension historique, politique et philosophique. Des mots plus difficiles d’accès, de l’effet direct à la substitution de motifs, de l’injonction à la question préjudicielle, du contreseing à la régie, trouvent une définition qui les rend facilement compréhensibles à tous.

L’originalité est celle d’une pensée personnelle. Alors que, devant l’ampleur de la tâche, la plupart des dictionnaires sont le fruit de travaux collectifs, le professeur Touzeil-Divina a réussi la prouesse de rédiger (presque) seul son dictionnaire, qui repose sur sa vaste culture, avec ses préférences et ses centres d’intérêt variés et originaux. Il nous propose, à côté de termes juridiques, de réfléchir au bouffe-galette, à la choucroute, à l’espadrille ou aux steaks. Il nous fait découvrir des abréviations plus ou moins heureuses, et parfois franchement à éviter, comme le « rappu » pour parler du rapporteur public. Il nous fait voyager à travers le temps et nous rappelle qu’Edouard Laferrière était le fils de Firmin, que Joseph Marie de Gerando, membre éminent du Conseil d’Etat du Premier Empire, qui fut le premier professeur de droit, avait été séminariste puis chasseur à cheval mais n’avait jamais fait d’études de droit, que François Mitterrand fut aussi un juriste passionné.

« Les codes fondamentaux d’une culture -ceux qui régissent son langage, ses schémas perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses pratiques-fixent d’entrée de jeu pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans lesquels il se retrouvera » écrit Michel Foucault dans les Mots et les Choses. Le dictionnaire du droit public interne permet à ses lecteurs de se retrouver plus facilement dans le labyrinthe du droit parce qu’il aide à saisir le sens des mots et permet de mieux les comprendre en les situant dans un contexte large. Il le fait en alliant précision et humour, culture et anecdote, technique et gaité. Son propos est aussi alerte que sa science est complète. Référence précieuse, ce dictionnaire est aussi un vrai livre, de ceux auxquels songeait Gaston Bachelard lorsqu’il se demandait, dans sa poétique de la Rêverie, « car là-haut, au ciel, le paradis n’est-il pas une immense bibliothèque ? ».

Bernard Stirn,
président de section au Conseil d’Etat,
professeur associé à Sciences Po